Dans une lettre ouverte adressée au Président Félix Antoine Tshisekedi, Jean-Claude Vuemba Luzamba, président honoraire de l’Assemblée Provinciale du Kongo Central et député national honoraire, exprime ses profondes inquiétudes et critiques concernant le discours sur l’État de la nation du 11 décembre 2024. Il aborde notamment les propositions de révision constitutionnelle, l’état déplorable des infrastructures, la situation sociale désastreuse, ainsi que les échecs en matière de diplomatie et d’économie. Vuemba appelle à une gouvernance plus efficace et honnête, soulignant la nécessité de se concentrer sur les urgences nationales plutôt que sur des initiatives risquées et controversées.
En voici l’intégralité :
LETTRE OUVERTE DE JEAN-CLAUDE VUEMBA LUZAMBA À SON EXCELLENCE MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FÉLIX ANTOINE TSHISEKEDI, CHEF DE L’ÉTAT
KINSHASA, LE 11 DÉCEMBRE 2024
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
Le discours sur l’état de la nation que vous avez prononcé le 11 décembre 2024 a laissé un goût amer à de nombreux Congolais, et particulièrement à moi, en tant qu’acteur politique et citoyen soucieux du devenir de notre nation. Vous avez abordé de nombreux sujets, mais certaines propositions, notamment celle relative à une révision constitutionnelle, suscitent une vive inquiétude. Je m’autorise donc, par cette lettre ouverte, à exprimer des critiques sévères mais constructives sur les enjeux fondamentaux que vous avez omis ou mal évalués.
1. Révision constitutionnelle : Une démarche dangereuse et inacceptable
L’article 219 de la Constitution interdit toute révision pendant l’état de guerre, l’état d’urgence, l’état de siège, et au moment où les deux chambres du Parlement se trouvent empêchées de se réunir librement ou pendant l’intérim à la présidence. Ne sommes-nous pas dans un état de guerre ? Vous avez évoqué une réforme constitutionnelle pour, selon vos termes, corriger des « failles structurelles ». Or, une telle initiative est non seulement risquée mais également contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution en vigueur.
Les dispositions verrouillées de la Constitution interdisent toute modification touchant à la limitation des mandats présidentiels ou à la forme républicaine et démocratique de l’État. Aller dans cette direction serait une violation flagrante de la loi fondamentale. Une tentative de révision constitutionnelle dans ce contexte d’instabilité et de méfiance généralisée risque de provoquer un embrasement total du pays, avec des conséquences incalculables pour notre cohésion nationale. Le peuple congolais, plongé dans une souffrance atroce, n’a pas besoin de débats institutionnels artificiels, mais d’un gouvernement qui s’attaque aux problèmes urgents comme la pauvreté, les infrastructures délabrées et l’absence de services publics.
2. L’état des infrastructures : Une honte nationale
Comment peut-on envisager une révision constitutionnelle alors que même Kinshasa, siège des institutions, est en ruines ? Les routes de la capitale sont impraticables, les quartiers manquent d’électricité, d’eau potable, et les déchets s’accumulent dans des conditions sanitaires déplorables. Les grands projets d’infrastructure annoncés avec tambours et trompettes, tels que Tshilejelu et la construction d’une nouvelle ville à Maluku, sont au point mort. Où en sommes-nous avec ces engagements ?
Les populations rurales et urbaines souffrent également de l’abandon de programmes cruciaux comme celui des 145 territoires, où les détournements ont vidé de leur substance les projets initialement prévus pour améliorer la vie des Congolais. Comment voulez-vous passer d’une phase à une autre d’un programme entamé, comme vous l’avez annoncé, sans avoir terminé la phase en cours ? Savez-vous que dans la plupart des territoires, l’exécution du PDL 145T n’a pas dépassé 30 % de réalisation ? Quelle fierté aurez-vous à la fin du mandat d’aligner des chantiers inachevés ? Et, ça va servir à quoi ?
3. Une situation sociale désastreuse
La population congolaise vit dans une misère inimaginable, confrontée à une inflation galopante, un chômage massif et un accès limité aux services sociaux de base. L’État est totalement absent du quotidien des Congolais. Les institutions sont devenues inopérantes, et la population ne sait plus à quel saint se vouer. Les détournements massifs, comme ceux liés aux projets de forage et de lampadaires, sont des scandales récurrents, vidant les caisses de l’État sans aucune accountability. Pourquoi ces scandales restent-ils impunis ?
Doit-on comprendre que vous validez ces scénarios tant de fois décriés, comme ce scandaleux détournement de 1.500.000.000 $ qui défraye la chronique à la Banque Centrale ? Puisqu’aucune institution ne donne suite aux multiples dénonciations qui vous parviennent, y compris dans les rapports de l’IGF.
4. Une diplomatie et une économie stagnantes
Vous aviez promis d’attirer les investisseurs et de redynamiser l’économie congolaise. Où en sommes-nous ? Malgré des partenariats annoncés, les investissements étrangers peinent à se concrétiser. L’environnement des affaires reste peu attractif, marqué par la corruption et l’instabilité juridique. L’économie continue de dépendre exclusivement des ressources minières, sans diversification significative ni progrès dans les secteurs agricoles ou industriels.
J’ai constaté avec tristesse le satisfecit avec lequel vous avez abordé la problématique du corridor de Lobito. La souveraineté que vous avez décriée en brandissant l’article 217, savez-vous qu’en signant ce contrat, vous avez bradé la souveraineté économique du pays ? Pourquoi le Maréchal Mobutu Sese Seko avait-il fait construire le barrage d’Inga, en érigeant la ligne haute tension Inga-Shaba ? N’est-ce pas pour assurer notre souveraineté économique ? Vous choisissez de dégarnir le pays entier, de l’est à l’ouest, en externalisant l’essentiel de la production nationale, au détriment de toutes les villes, des centres et territoires du pays enclavés et sans activité. À quoi servirait le port en eau profonde puisque la production nationale ne sera plus disponible ? On ne peut pas prétendre servir la nation et brader ainsi les intérêts du pays.
Conclusion : Gouverner, c’est répondre aux urgences
Monsieur le Président, ce dont le Congo a besoin aujourd’hui, ce n’est pas une révision ou un changement de la Constitution, mais une gouvernance efficace et honnête. D’où la nécessité de :
- Restaurer l’État de droit et mettre fin à l’impunité pour les crimes économiques.
- Réhabiliter les infrastructures de base pour améliorer le quotidien des citoyens.
- Apporter des solutions immédiates aux crises sociales et économiques.
- Répondre avec des actions concrètes aux souffrances des populations de l’est en proie à l’insécurité chronique.
Si vous persistez à poursuivre des initiatives inutiles et dangereuses comme cette révision constitutionnelle, vous enflammerez davantage la situation déjà explosive. Écoutez la voix des Congolais, et concentrez-vous sur ce qui compte réellement.
Je ne saurais terminer cette adresse sans attirer votre attention sur la dérive dangereuse du régime que vous tentez d’imposer à la nation. Cette grave dérive est symbolisée par les actes quotidiens que pose votre parti, l’UDPS : la création des milices, le détournement des attributs de l’armée par les forces du progrès… Vous avez vécu en Europe et vous savez que, du point de vue républicain, ceci est trop grave.
Nous avions tous accompagné le combat du leader maximo Étienne Tshisekedi wa Mulumba, d’illustre mémoire. Ce combat qui vous a aidé à franchir les portes du pouvoir. Mais, je ne pense pas que nous avions fait tout cela pour subir la scène immonde à laquelle nous avons assisté hier devant les corps constitués, au sein de l’Assemblée Nationale, le cœur des institutions, et le jour du Congrès : ce chant, certes patriotique de l’UDPS, chanté en lieu et place de l’hymne national.
Je n’aurais jamais cru que vous laisseriez faire ça.
Jean-Claude Vuemba Luzamba
Président Honoraire de l’Assemblée Provinciale du Kongo Central et Député National Honoraire
Par la Rédaction









