Alors que les spéculations se multiplient autour de la rencontre entre Cyril Ramaphosa, président sud-africain, et Donald Trump, président américain, concernant la crise sécuritaire en République démocratique du Congo (RDC), l’ambassade des États-Unis à Kinshasa a choisi de lever le voile sur les contours de l’engagement américain dans les négociations de paix. Cette démarche intervient dans un contexte où les interprétations politiques et médiatiques, parfois contradictoires, risquent d’obscurcir un dialogue déjà fragile.

Washington précise son rôle : médiateur, pas décideur

Dans les réseaux sociaux ce jeudi, l’ambassade a cité les explications détaillées de Massad Boulos, conseiller principal de Donald Trump pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Ce dernier a révélé que la RDC et le Rwanda ont chacun remis un projet de proposition distinct dans le cadre des pourparlers visant à apaiser les tensions dans l’est congolais, miné depuis trois décennies par des conflits armés, des massacres communautaires et l’exploitation illégale de ressources.

Pour les diplomates américains, ces documents représentent une avancée « tangible » vers l’application de la Déclaration de principes signée en avril 2023 sous l’égide de Washington. Ce texte, souvent qualifié de feuille de route oubliée, prévoyait un cessez-le-feu immédiat, le retrait des forces étrangères – notamment rwandaises, accusées par l’ONU de soutenir le M23 – et un dialogue inclusif. « Notre rôle a été de consolider techniquement ces propositions, pas de les imposer », a insisté Boulos, soulignant que l’objectif est « une signature avant fin septembre ».

Si l’administration américaine salue cette « étape constructive », les défis restent colossaux. D’abord, la méfiance historique entre Kinshasa et Kigali. Ensuite, l’absence des autres acteurs clés – Ouganda, Burundi, Angola – et des dizaines de groupes armés locaux, dont certains rejettent toute négociation sans garanties sécuritaires.

Par ailleurs, des voix congolaises, notamment dans la société civile, dénoncent « un processus opaque » qui ignorerait les victimes des violences. « Comment parler de paix sans inclure les survivants, les femmes et les jeunes qui fuient les massacres ? », interroge Julienne Lusenge, militante des droits humains à Goma. Une critique indirecte envers une médiation perçue comme trop centrée sur les États.

L’ambiguïté plane aussi sur les motivations de Washington. Si l’ambassade insiste sur « un engagement désintéressé pour la stabilité régionale », des analystes rappellent les intérêts économiques américains, notamment dans l’exploitation du cobalt et du coltan, minerais stratégiques pour les technologies vertes. La rivalité avec la Chine, principal partenaire commercial de la RDC, ajoute une couche géopolitique à ce dossier.

Néanmoins, le timing interroge : cette clarification survient alors que Donald Trump, candidat à la présidentielle de 2024, cherche à renforcer son image de faiseur de paix à l’international. Un électoralisme dénoncé par ses détracteurs, qui rappellent que sous sa présidence (2017-2021), les États-Unis avaient réduit leur attention sur l’Afrique, laissant le champ libre à d’autres puissances.

Sur le plan humanitaire, l’urgence est criante : selon l’ONU, plus de 6 millions de déplacés errent dans l’est de la RDC, où les violences sexuelles et les enrôlements d’enfants soldats persistent. Pour les habitants de Beni ou d’Ituri, l’enjeu n’est pas diplomatique, mais existentiel : « Nous voulons juste cultiver nos champs sans avoir peur », témoigne un paysan sous couvert d’anonymat.

Si l’ambassade promet « un suivi rigoureux » après la signature de l’accord, les observateurs appellent à la prudence. « Les accords de paix dans la région ont souvent été des chiffons de papier », rappelle Jason Stearns, directeur du Congo Research Group. La réussite dépendra de la pression internationale sur Kigali et Kinshasa, mais aussi de l’inclusion des acteurs locaux – un chantier encore en friche.

En attendant, la balle est dans le camp des dirigeants congolais et rwandais. Leur capacité à dépasser les rancoeurs historiques et les calculs politico-économiques déterminera si cette nouvelle initiative évite le naufrage des précédentes.

Par Thierry Bwongo

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