La République démocratique du Congo a surpris l’opinion publique en annonçant un contrat de sponsoring avec le prestigieux club espagnol FC Barcelone, d’un montant de 44 millions d’euros sur quatre ans. À travers ce partenariat, le gouvernement ambitionne de promouvoir la marque “RDC, Cœur de l’Afrique”, dans une stratégie de soft power visant à rehausser l’image du pays sur la scène internationale. Mais derrière les projecteurs du Camp Nou, une question brûlante s’impose : à quel prix ?

Le soft power, concept popularisé par Joseph Nye, repose sur l’influence par l’attractivité culturelle, diplomatique ou économique. En s’associant à des géants du football comme AS Monaco, AC Milan, et désormais FC Barcelone, la RDC cherche à s’inscrire dans cette logique. L’objectif est clair : changer la perception internationale d’un pays trop souvent associé aux conflits, à la pauvreté et à l’instabilité.

Mais cette ambition se heurte à une réalité nationale brutale. À l’Est, les violences persistent. Dans les zones rurales, l’accès à l’électricité reste un luxe. Et dans les villes, les infrastructures de sécurité sont dramatiquement insuffisantes. Face à cette situation, le sponsoring sportif apparaît non pas comme une stratégie éclairée, mais comme une fuite en avant budgétaire.

Prenons un exemple frappant : l’ANSER, l’Agence nationale pour l’électrification et les services énergétiques en milieu rural. En cinq ans, cette institution n’a reçu que 50 millions USD de financement public. Résultat : 38 MW produits, loin des 744 MW initialement prévus. Le directeur général adjoint de l’ANSER lui-même a reconnu que 250 millions USD par an seraient nécessaires pour répondre aux besoins énergétiques des zones rurales.

À titre de comparaison, le contrat avec le FC Barcelone représente près de la totalité du financement accordé à l’ANSER en cinq ans, pour un simple logo sur un maillot d’entraînement. Le contraste est saisissant.

Un poste de police a Kinshasa

Autre secteur négligé : la sécurité. Alors que Kinshasa peine à construire 240 postes de police pour ses 24 communes, les provinces restent largement dépourvues d’infrastructures sécuritaires. Dans un pays où les groupes armés circulent librement, où les enlèvements se multiplient, et où la confiance envers les forces de l’ordre est fragile, chaque dollar investi dans la sécurité peut sauver des vies.

Combien de postes de police, de centres de formation, ou de brigades mobiles aurait-on pu financer avec 44 millions d’euros ? La question mérite d’être posée.

Poste de police frontière de Kavimvira reliant Uvira (RDC) à Bujumbura (Burundi) via Gatumba

Les défenseurs de cette stratégie avancent que le soft power est un investissement à long terme, capable d’attirer des investisseurs, de stimuler le tourisme, et d’inspirer la jeunesse. Mais sans infrastructures locales solides, sans transparence budgétaire, et sans retombées concrètes pour les citoyens, cette diplomatie de l’image risque de se transformer en communication creuse.

Pire encore, elle pourrait nourrir un sentiment d’injustice, voire de mépris, chez une population qui attend des réponses concrètes à ses souffrances quotidiennes.

La RDC coeur d’Afrique

La RDC n’a pas besoin de renoncer au soft power. Elle a besoin de le réorienter. Plutôt que de financer des logos sur des maillots européens, pourquoi ne pas investir dans des académies sportives locales, des festivals culturels nationaux, ou des campagnes diplomatiques ciblées ? Pourquoi ne pas faire du soft power un outil de développement, et non un symbole de prestige déconnecté ?

Dans un pays où chaque franc public compte, la priorisation des besoins n’est pas une option : c’est une exigence morale et politique.

Par Thierry Bwongo

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