La ville d’Uvira, carrefour stratégique du Sud-Kivu, est aujourd’hui le miroir d’un dilemme politique et sécuritaire qui met à nu les tensions internes de la République démocratique du Congo. À travers la controverse autour du Général Olivier Gasita Mukunda, c’est toute la complexité de la gouvernance congolaise qui se révèle : entre cohésion nationale, pression diplomatique et légitimité populaire, Kinshasa semble naviguer à vue.

La nomination du Général Gasita, contestée par les communautés locales et les groupes d’autodéfense Wazalendo, cristallise un malaise profond. Accusé d’avoir abandonné ses troupes lors de la chute de Bukavu, sans qu’aucune enquête ni sanction n’ait suivi, il incarne pour beaucoup l’impunité et la déconnexion du pouvoir central. Pourtant, son maintien à Uvira ne relève pas d’un simple entêtement administratif. Il s’inscrit dans une logique plus large, celle d’un État soucieux de ne pas alimenter les accusations de stigmatisation ethnique, notamment envers les officiers nilotiques perçus comme proches des communautés tutsies.
Ce dilemme est d’autant plus aigu que le M23, mouvement rebelle actif dans l’Est du pays, fonde une partie de sa légitimité sur la dénonciation de cette marginalisation. Retirer le Général Gasita pourrait donc être interprété comme une concession à ce narratif, affaiblissant la posture diplomatique de Kinshasa sur la scène régionale et internationale. À l’inverse, le maintenir revient à ignorer les appels à la justice et à la transparence émanant du terrain, au risque de creuser davantage le fossé entre l’État et sa population.

Dans ce contexte, les Wazalendo apparaissent comme les véritables garants de la résistance populaire. Ces combattants, souvent mal équipés mais portés par une volonté farouche de défendre leur territoire, tiennent les lignes de front là où les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) observent un cessez-le-feu. Leur engagement, salué par les populations, contraste avec la prudence institutionnelle du gouvernement. Pourtant, leur reconnaissance officielle reste ambiguë, comme en témoigne la déclaration du Général Sylvain Ekenge, porte-parole des FARDC, qui a tenu à rappeler que la collaboration ne signifiait pas gestion. Ce flou sémantique traduit une gêne politique, voire une volonté de maintenir les Wazalendo dans une zone grise, entre héroïsme et marginalisation.
Mais une voix politique, relayée depuis 2022, vient troubler davantage cette lecture. Selon cette analyse, le Rwanda aurait infiltré le tissu sécuritaire congolais en créant de faux groupes maï-maï, aujourd’hui désignés comme Wazalendos. Ces entités, manipulées pour diffuser un discours de haine tribale, serviraient à légitimer l’intervention rwandaise en RDC à travers des vidéos vendues dans les cercles diplomatiques. Cette thèse accuse certains conseillers du Président Félix Tshisekedi d’avoir induit en erreur le chef de l’État en s’appuyant sur ces groupes sans formation préalable, livrant ainsi non seulement des armes à l’ennemi, mais aussi des secrets de défense. Elle alerte sur une possible infiltration des M32 jusqu’à Kalemie, sous couvert d’être des Wazalendos, risquant de prendre en étau les militaires restés à Uvira.

Face à cette équation à plusieurs inconnues, le gouvernement congolais se trouve à la croisée des chemins. Retirer le Général Gasita permettrait d’apaiser les tensions locales et de renforcer la confiance envers les institutions, mais risquerait de raviver les accusations de discrimination ethnique. Le maintenir, en revanche, préserverait une certaine cohérence diplomatique, tout en alimentant le rejet populaire et les soupçons de complicité dans les revers militaires passés.
Une sortie honorable semble pourtant possible. Elle passerait par une désaffectation discrète du Général Gasita, sans mise en accusation publique, accompagnée de l’ouverture d’un cadre de concertation inclusif. Ce dialogue, réunissant les FARDC, les Wazalendo, les autorités locales et les partenaires internationaux, pourrait permettre de restaurer la confiance sans compromettre l’unité nationale ni la crédibilité diplomatique de la RDC.

Uvira, symbole de la résistance populaire et nœud géopolitique, mérite une réponse à la hauteur de ses enjeux. Le gouvernement congolais est désormais face à un choix historique : écouter son peuple sans trahir ses principes, et agir avec discernement pour préserver l’intégrité de la nation. Dans cette région où chaque décision résonne bien au-delà des frontières, le courage politique ne consiste pas à imposer une vérité, mais à construire un consensus durable.
Par la Rédaction









