La signature à Washington du traité de paix, assorti d’un Cadre d’intégration économique régionale, entre les Chefs d’État de la RDC et du Rwanda fait couler beaucoup d’encre, comme on s’y attendait.
Les analyses sont aussi divergentes que les opinions politiques, auxquelles il faut ajouter les interprétations tendancieuses.
Globalement, les questions qui se posent autour du texte de cet accord traduisent des inquiétudes réelles chez beaucoup de congolais. Celles-ci concernent principalement les modalités du retrait des troupes rwandaises du territoire congolais et le sort immédiat des zones occupées par les proxies du Rwanda que sont les M23.
En effet, à la lecture du texte de ce traité et de ses annexes, les observateurs les plus critiques pointent l’absence d’un monitoring précis concernant la levée des mesures dites « de sécurité du Rwanda », en clair le retrait de ses troupes, d’une part ; et le retour à l’autorité de l’État dans les régions occupées de Goma et de Bukavu, qui passe par le retrait/désarmement du M23, et dont le mode opératoire a été confié à la méditation qatarie, d’autre part. On notera que ce mouvement rebelle continue à violer le cessez-le-feu.
D’autres observateurs déplorent que la justice pour les victimes de la guerre ne figure pas en bonne place dans l’accord.
Mais, les craintes et autres manifestations de scepticisme, mêlées parfois à des accusations excessives de trahison, ont toutes la particularité d’ignorer un fait majeur : la RDC a connu une débâcle militaire au cours de laquelle elle a perdu de milliers de soldats et énormément de matériels de guerre pris par l’ennemi, qui a également pris possession de certains de ses territoires.
Le fait est que, pour des raisons de faiblesse structurelle et de noyautage de son armée, la RDC n’a pas su imposer militairement ses droits souverains à l’agresseur.
Dans ce contexte, on pourrait être tenté de voir dans ce traité conclu avec le Rwanda des apparentements avec une forme d’armistice. Ce dernier est défini comme un accord entre belligérants, fixant les modalités de la paix et les conditions (souvent contraignantes) imposées à l’État vaincu. Par ailleurs, dans un accord d’armistice, le pays vaincu conserve théoriquement la souveraineté entière sur son territoire, même s’il est occupé par l’ennemi, qui y dicte sa loi et s’accapare des ressources. Ce fut le cas de la France en 1940-45 lors de l’occupation allemande.
Notre propos n’est pas la traduction d’un pessimisme, ou d’une désapprobation quelconque. Il s’agit au contraire d’éclairer le contexte afin de mieux appréhender les enjeux qui ont entouré les négociations de cet accord.
L’ennemi, fort de sa position militaire sur le terrain, de l’occupation de deux grandes villes de l’est du pays et du soutien de certains lobbies étatiques et privés, a pu peser dans le processus de paix pour imposer le plus d’obligations à la RDC. C’est notamment la sempiternelle et fallacieuse question du démantèlement des FDLR qu’il instrumentalise à souhait et qui apparaît disproportionnée dans le corps de ce traité de paix.
Dans le même temps, il se défausse sur ses supplétifs du M23 pour l’occupation de Goma et Bukavu, les élevant du coup au rang d’interlocuteurs directs du gouvernement congolais, alors que lui-même méconnaît l’opposition armée rwandaise.
Dans ce contexte défavorable à la RDC, où le fait accompli du Rwanda semble être entériné par les grandes puissances occidentales, qui rechignent à lui infliger des sanctions sévères comme elles l’ont fait avec la Russie, il était impérieux de trouver une parade susceptible de préserver les intérêts et les institutions du pays menacés.
L’atout majeur dont dispose la RDC est paradoxalement la cause même de cette guerre d’agression : ses ressources naturelles exceptionnelles.
Le pouvoir congolais a eu le mérite de déployer une diplomatie active et subtile, qui a fini par être payante. Car d’une part, elle a limité la casse sur le terrain militaire où les différents processus de paix ont stoppé (pour l’instant) la déflagration qui tendait vers une expansion territoriale comme du temps de l’Afdl ; et surtout, elle a persuadé l’Amérique d’entrer en jeu, le président Trump prenant les choses en main pour promouvoir la paix et un partenariat stratégique avec la RDC.
Cependant, ne soyons pas dupes, l’Amérique n’agit pas par philanthropie. Mais son poids dans la balance est en mesure de permettre à la RDC d’échapper l’attraction morbide du Rwanda et de pouvoir retrouver un contrôle sur la chaîne d’approvisionnement en minerais stratégiques issus de son sol. L’essentiel est que ce deal stratégique ne soit pas une forme de mainmise sur les ressources congolaises par les Usa, mais un partenariat où la RDC trouve son compte économiquement et diplomatiquement.
Il vaut mieux l’original que la copie, dit-on. La RDC devra surtout persuader les investisseurs de se tourner plutôt vers les chaînes de valeurs et d’approvisionnement officielles, plutôt que de traiter avec des intermédiaires aux mains pleines de sang congolais. C’est l’une des conditions essentielles pour un retour à la paix et à la prospérité dans l’est du pays. Et c’est ainsi que le Cadre d’intégration économique régionale aura un sens et une utilité.
Les autres conditions dépendent de l’énergie qui sera mise dans les différents mécanismes prévus par les accords pour assurer l’effectivité des engagements.
Car, malgré ceux-ci, rien ne garantit que le président rwandais n’a pas abandonné ses velléités expansionnistes et sa volonté de continuer à provoquer le chaos sur le territoire congolais en agissant à couvert. D’autant qu’une bonne partie de l’économie rwandaise repose sur le pillage des minerais congolais.
Sur ce point, le démantèlement des M23 est un impératif, et il doit être effectivement exempt de recyclage imposé dans les forces de défense congolaises.
En définitive, cet accord est plutôt une opportunité de rebondissement inespérée pour la RDC. Alors qu’elle a été mise en difficulté sur le plan militaire, elle se trouve désormais en capacité d’œuvrer au retour effectif d’une paix durable dans sa partie est, tout en préservant ses intérêts souverains, qu’ils soient politiques ou économiques.
Mais pourra-t-on faire l’économie d’un renforcement de la puissance militaire de la RDC et obtenir une paix réelle et durable avec le Rwanda ?










