Pendant près de deux décennies, la République Démocratique du Congo a connu une dépendance silencieuse mais stratégique dans la gestion de ses données numériques. Des segments critiques tels que les télécommunications, la finance, la logistique et même certains aspects de la gouvernance ont été partiellement ou totalement hébergés hors du territoire national, notamment par des prestataires étrangers, certains localisés au Rwanda. Si cette externalisation pouvait se justifier par le manque d’infrastructures locales, elle a également alimenté un climat de méfiance croissante vis-à-vis de la souveraineté technologique congolaise.

En 2024, cette dynamique amorce un virage décisif. L’inauguration du premier Data Center Tier III à Kinshasa, porté par Raxio RDC, marque une volonté affirmée de rapatrier le cœur numérique du pays. Ce centre, conforme aux standards internationaux, s’inscrit dans le Plan national du numérique “Horizon 2025”, qui ambitionne d’utiliser les technologies comme levier de croissance et de gouvernance. Une infrastructure supplémentaire, installée dans le cadre du projet Silikin Village, vient renforcer ce dispositif en favorisant l’hébergement local sécurisé au bénéfice des startups et des petites entreprises.

À mi-parcours de son échéance, ce plan national affiche une progression modérée mais prometteuse. Sur 69 projets identifiés, environ 48 % ont été amorcés ou réalisés, notamment la création du ministère du Numérique, l’adoption d’un Code structurant, le déploiement de la fibre optique et la mise en service de plusieurs plateformes publiques. Toutefois, des défis significatifs entravent son accélération : une fracture numérique persistante, un déficit énergétique, des lenteurs administratives et un manque de financement.

Data Center Tier III à Kinshasa, porté par Raxio RDC
Silikin Village data center

Cette avancée technologique, bien qu’importante, ne signifie pas que toutes les données stratégiques du pays sont désormais hébergées localement. Le narratif selon lequel “Kigali est totalement déconnecté” reste, à ce jour, non vérifié par des sources officielles ni confirmé par des audits techniques. Le processus de migration des serveurs, de classification des données sensibles et de sécurisation des flux reste partiel et complexe.

D’un point de vue juridique, la RDC consolide également son arsenal. Le Code du Numérique, adopté en 2023, impose des normes strictes en matière de protection des données personnelles, crée les bases d’une autorité de régulation dédiée et ouvre la voie à une gouvernance plus transparente des actifs numériques. La stratégie nationale de cybersécurité (2022–2025) souligne la volonté de structurer les niveaux de sensibilité des données, même si une classification officielle reste à finaliser.

Enfin, le nom de domaine officiel du pays, .cd, est aujourd’hui géré localement par la Société Congolaise des Postes et Télécommunications (SCPT), après des années de gestion externalisée. Ce retour en régie nationale symbolise une étape importante dans le contrôle de l’espace numérique congolais.

Si la RDC n’a pas encore atteint une maîtrise totale de son patrimoine numérique, elle pose désormais les jalons d’une souveraineté technologique structurée. Le numérique n’est plus un simple outil, mais un terrain de stratégie, de mémoire et d’identité. Ce tournant invite à une vigilance constante, à des réformes institutionnelles soutenues et à une mobilisation citoyenne autour de la maîtrise des flux d’information. Dans cette nouvelle ère, chaque octet congolais compte.

Par Thierry Bwongo

Tendances

En savoir plus sur Tropik Infos

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture